Cyrille SCHOTT (SP 1970) L'Europe sait-elle faire face ?

"L'Europe sait-elle faire face ?"

Tribune

Cyrille SCHOTT

 

Au delà de la soumission apparente des Européens à Donald Trump, les pays d'Europe s'émancipent très progressivement des diktats de l'administration américaine. C'est notamment le cas avec la Coalition des Volontaires et du programme européen d'aide à la production de munitions (ASAP). Par Cyrille SCHOTT, ancien conseiller au cabinet du président François Mitterrand, préfet de la région honoraire.Il a dirigé l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (2014-2016) et appartient au bureau d'EuroDéfense-France. Il est coauteur du livre "Souveraineté et solidarité, un défi européen" (Le Cerf, 2021)

 

À la fin de l'année dernière, je me demandais si l'Europe saurait faire face au "défi" américain représenté par Trump [1]. Désormais, il convient de se demander si l'Europe sait faire face. S'agissant de la forme, la réponse s'avère désespérante. Les plus puissants des Européens, comme Keir Starmer ou Friedrich Merz, voire Emmanuel Macron, se rendent tels des vassaux dans le bureau ovale  et considèrent remporter un succès lorsqu'ils ne se font pas maltraiter par son occupant. La présidente de la Commission Européenne, Ursula Von Der Leyen, rejoint en juillet le golf privé de Donald Trump en Écosse pour se voir notifier le traitement douanier réservé à l'Union Européenne (UE). Le secrétaire général de l'organisation atlantique, ancien premier ministre néerlandais, Mark Rutte, appelle le protecteur américain, "Daddy" ("papa") à la réunion de juin de l'OTAN à La Haye, qui se révle être le sommet de la flagornerie envers Trump. Les Européens se comportent comme si celui-ci était le maître du monde. 

 

Un diktat accepté par les Européens

Sur le fond, la réponse est pareillement attristante. Malgré sa puissance commerciale, l'UE accepte de faire taxer ses produits par les États-Unis sans imposer la même règme aux ventes américaines, s'engage à acheter pour 760 milliards de dollars des produts énergétiques américains et à investir 600 milliards de dollars outre-Atlantique. S'agissant de la défense, les Européens, hormis l'Espagne, acceptent le diktat de Trump de porter leur budget de défense et de sécurité à 5% du PIB, 3,5% pour les défenses proprement militaires et 1,5% pour celles de sécurité. Au sommet de La Haye, ils s'évertuent à le garder dans une unité apparente avec eux, même si les déclarations suscitent le doute quant à la garantie de l'article 5 du Traité de l'Atlantique nord, et donc l'engagement américain à défendre les alliés en cas d'attaque. 

La comparaison avec les puissances qui ne prennent pas Trump pour lemaître du monde est frustrante pour les Européens. Xi Jin Ping, le président chinois, ni ne prend son téléphone pour l'appeler ni n'entreprend de se déplacer chez lui. Il l'oblige en mai dernier à envoyer une délégation à Genève pour négocier les questions commerciales. Il sait user de l'arme des terres rares, dont la Chine est devenue un fournisseur essentiel, pour lui faire lever le pied. Vladimir Poutine, l'agresseur, contre toutes les règles du droit international, de l'Ukraine, obtient en août une rencontre à Anchorage, où Trump multiplie à son égard les gestes d'affection. 

Indépendance, une idée non partagée par les Européens

Ces comparaisons montrent que l'UE n'a pas la force d'un État. Elle représente certes une puissance économique et commerciale majeure, mais elle ne possède pas la puissance politique, militaire et diplomatique. Si elle dispose d'institutions de nature fédérale, elle demeure une structure originale composée d'États souverains. Et ceux-ci ont influencé le rapport avec les États-Unis de Trump. Ils ont été divisés quant à l'attitude à adopter, pour des raisons tenant à plus ou moins grande proximité d'idées avec le président américain, à leurs intérêts industriels et commerciaux, comme le secteur automobile pour l'Allemagne, ou encore au souci de ne pas contrarier le garant fondamental de leur défense, selon le ressenti de pays de l'est au contact de la Russie et de bien d'autres. La tradition française d'une certaine indépendance des États-Unis est loin d'être partagée en Europe. 

Ces réalités, indéniables, ne doivent toutefois pas voiler le fait que, face au défi, les Européens ne sont pas restées inertes. Dès le lendemain de l'humiliation en mars 2025 du président Zelensky à la Maison Blanche, ils se sont regroupés autour de lui à Londres pour témoigner de leur solidarité. Ils ont accru leur soutien militaire à l'Ukraine, qui est passé devant l'américain. Avant le sommet Trump-Poutine, ils se sont rendus à Washington pour faire valoir qu'aucun accord avec la Russie ne pourra advenir sans l'Ukraine et eux. 

Une réponse Européenne

La réaction européenne s'effectue selon deux piliers complémentaires. D'une part, l'Union européenne a adopté un livre blanc sur la défense et le programme ReArm Europe, qui prévoit d'aider les États membres à des dépenses militaires de 800 milliards, dont 150 milliards provenant de fonds prêtés par l'UE grâce à un nouvel emprunt communautaire. Les industries d'armement européennes fonctionnent désormais à plein régime, dopées par les mesures déjà prises au plan communautaire, comme le programme européen d'aide à la production de munitions (ASAP), et par les augmentations des budgets militaires des nations membres, qui ont atteint 326 milliards d'euros en 2024, en augmentation de près d'un tiers par rapport en 2021. Certains États commencent à privilégier l'achat d'armements européens au détriment d'américains, ainsi le Portugal qui va acquérir des avions Rafale plutôt que des F35 ou le Danemark qui choisit des batteries sol-air franco-italiennes SAMP/T plutôt que le système de défense anti-aérienne Patriot.

D'autre part, à l'initiative de la France et du Royaume-Uni, s'est constituée une coalition des Volontaires, regroupant désormais plus de trente États, dont certains non européens, comme le Canada, afin de soutenir l'Ukraine et de mettre en place des garanties de sécurité, dans le cas d'un cessez-le-feu. C'est une alliance de fait menée par les deux principales puissances militaires européennes, rejointes par l'Allemagne, ainsi que l'UE. Sur le plan commercial, si l'accord avec les États-Unis correspond à une défaite politique de l'UE, il n'a pas forcément la même signification sur le terrain purement économique, ce que plaide la Commission européenne. 

L'Europe doit renforcer son unité

Au fond, si les Européens se sont comportés en apparence comme des soumis à la volonté trumpienne, ils ont, par ailleurs, progressé dans l'autonomie stratégique, même si cette réalité peine à émerger dans les images portées par l'accélération des événements, voulues par le président américain. Le défi n'est évidemment pas qu'américain. Le russe est immédiat et belliqueux. Le chinois, comme l'a illustré début septembre le somme de l'organisation de coopération de Shanghaï à Tianjin, vise à définir un nouvel ordre du monde contre l'Occident. À cet égard, les États-Unis feraient mieux de cultiver avec l'Europe une alliance amicale qu'à chercher à détruire son unité. Quoiqu'il en soit, pour faire face, non seulement au défi américain, mais également au russe et au chinois, les Européens n'ont d'autre choix que celui de la volonté, de renforcer leur unité, même si cela passe par divers chemins, et d'assumer la puissance qui est déjà la leur.